« J’ai besoin d’aider les miens » Rencontre avec Yuliya Savarovska, représentante de l’association Iroise Ukraine

Publié le 04/04/2022

La force de sa prise de parole, le 5 mars dernier, lors de la manifestation brestoise en soutien à l’Ukraine, avait marqué les esprits. Yuliya Savarovska, jeune femme ukrainienne arrivée en France il y a 25 ans, évoque cette journée du 24 février où tout a basculé. Elle revient sur son parcours et les besoins de son association Iroise-Ukraine. Itinéraire d’une femme prête à remuer ciel et terre pour aider les siens.

Virginie Jouan, secrétaire du syndicat des services 29 (à gauche), Yuliya Savarovskaya (à droite)

Yuliya comment vas-tu ?

Ça va, même si je suis très fatiguée psychologiquement, que j’ai perdu 6 kilos en l’espace d’un mois et que je dors peu,  j’arrive à tenir debout et à continuer. Je suis aussi très touchée par l’élan de générosité gigantesque des Français. Depuis le début de la guerre, les Français ont beaucoup d’empathie et partagent notre douleur. Je suis en France depuis 25 ans et cette mobilisation pour aider les Ukrainiens me touche beaucoup.

Tu es arrivée en France, il y a 25 ans. Peux-tu nous préciser dans quel contexte ?

Je suis une enfant de Tchernobyl et mon premier séjour en France remonte à 1992 où j’ai été accueillie par une famille Lilloise de Lambersart, durant un mois. On nous proposait de faire des séjours pour améliorer notre santé. A l’époque, j’avais 14 ans et je ne parlais pas un mot de français. Ce 1er séjour a été un véritable choc culturel. Passer de l’ex-URSS avec PérestroÏka, où il n'y avait rien, à la France avec des magasins où il y avait tout et autant que tu veux…

Et puis je suis revenue l’année suivante, toujours en famille d’accueil à Lille et à l’Ile de Ré, et l’année d’après en colonie, dans les Pyrénées. J’avais pris entre temps des leçons de français. Ces séjours se passaient mieux et j’ai découvert la musique classique avec le chef de l'Orchestre National de Lille, le cinéma avec "les Visiteurs'.

J'ai décidé de poursuivre mon apprentissage de la langue française, à l’université de Kiev et en 1997, alors que je sers d’interprète pour un convoi humanitaire pour l’association les enfants de Tchernobyl, je rencontre mon futur mari qui était français.

C’est à ce moment-là que tu t’installes en France ?

Non, pas tout de suite, nous avons vécu en Ukraine pendant un an, nous nous sommes mariés à Kiev
en 1998, je suis alors enceinte de mon 1er enfant et pour des raisons médicales nous faisons le
choix de nous installer en France.

Comment se passe ton intégration ?

Au début c’était difficile. Je poursuis mes études de langues en Ukraine par correspondance ; j’ai eu
mon diplôme (BAC+5) de professeur de français et littérature étrangère. J’enchaine avec des études de biologie cellulaire et de physiologie à l'UBO, j'ai eu mon DEUG.

Entre temps, j’ai eu deux autres enfants et nous devons souvent faire appel aux associations caritatives pour nous en sortir.  En 2007, j’obtiens mon diplôme d’Aide-Soignante au CHRU de la Cavale Blanche et je travaillais dans les convalescences et les EHPAD pendant 5 ans. Au fur et à mesure, je me rend compte que j’ai beaucoup trop d’empathie pour chaque fin de vie que j’assiste, cela me touche beaucoup, je n’acceptais pas la mort. Je ne l’accepte toujours pas ! Je change alors de secteur professionnel et pendant 11 ans je travaille dans une librairie pour enfants à Brest

Aujourd’hui je suis en reconversion professionnelle et je passe un diplôme  secrétaire comptabilité et administration au Greta.

Quels sont tes liens avec ton pays natal ?

Mon frère et mon père vivent à Vychnevyi, à 2 km de Kiev et tous les étés depuis 1998 je retourne en Ukraine, avec mes enfants. Dès mon arrivée en France, en 1998, je me suis mise en lien avec l’association Iroise-Ukraine qui avait
été créée dans un but culturel au départ, puis, en collaboration avec les pharmaciens sans frontières, l’association préparait les convois pour les enfants de Tchernobyl, pour les orphelinats en Ukraine. A l’époque, les camions de convois humanitaires étaient gérés par les Scouts de Cluses à Haute Savoie. L’Association Iroise-Ukraine nous permet de faire des échanges culturels entre nous, de faire vivre nos traditions qui sont très importantes et pouvoir les transmettre à nos enfants franco-ukrainiens ici. 

 Le 24 février, Vladimir Poutine déclare la guerre à l’Ukraine. Comment vis-tu cette journée ?

A 10 h, je suis en cours de comptabilité et je reçois un appel de mon père qui vit à Vychnevyi, dans la
région de Kiev. Il me dit « Yuliya, la guerre a commencé. Les russes ont commencé à bombarder à 5 h
du matin, j’ai entendu un missile partir au-dessus de la maison… ». Et là, j’ai plus de cerveau, juste
un rideau blanc et que le silence… Je panique, je ressens énormément de stress à tel point que je
n’arrive même plus à retrouver la route pour rentrer chez moi. Je sens qu’il faut que je fasse quelque
chose et je cherche les jerricanes de l’essence pour aller chercher mon père et mon frère en Ukraine.
Finalement mon père m’en dissuade en disant qu’il vaut mieux que je reste en France pour agir. Pour m’assurer que mon frère et lui vont bien nous instaurons notre rituel de Skype tous les soirs, à la même heure.

Tu écoutes les conseils de ton père et tu décides d’agir avec ton association Iroise-Ukraine ?

Tout va très vite. Il y a beaucoup de panique, de désordre. Nous participons aux manifestations brestoises en soutien à l’Ukraine. Et le 5 mars, lors du rassemblement, les ukrainiennes d’ici me disent : « Yuliya, il faut que tu dises pour nous ! ». Je sens qu’il faut que je prenne la parole pour aider les miens, pour obtenir de l’aide concrète. Suite à cet appel, beaucoup de personnes se manifestent : : les écoles, nombreux pharmaciens, Leclerc de Kergaradec,
Super U de Keredern et de nombreux particuliers. Denis Le Saint, le patron d’une grosse entreprise de fruits et légumes, met à disposition de l’association 13 camions avec essences et chauffeurs pour acheminer des dons en Pologne. En 3 jours, nous remplissons un 1er camion de 33 palettes !

Virginie Jouan, secrétaire du syndicat des services, me contacte pour proposer l’aide de la CFDT. Je suis adhérente depuis 2017 et nous nous connaissons bien avec Virginie. La CFDT m’avait accompagnée dans le cadre d’un problème au travail. Nous nous rencontrons le mercredi 9 mars, en présence de Frédéric Huon, secrétaire de la CFDT du Finistère qui nous propose un local pour que notre association Iroise-Ukraine puisse avoir un lieu pour que nous puissions tous se réunir (les ukrainiens et les français) et échanger sur ce qui a été déjà fait et sur ce qui est à planifier pour la suite. L’association a alors besoin de mieux se structurer et la CFDT nous conseille sur les démarches à entreprendre pour solidifier notre organisation.

Aujourd’hui de quoi avez-vous besoin ?

Depuis 15 jours, l’association s’est bien organisée en termes de logistique pour trier les dons, faire des cartons et des palettes. Nos besoins résident maintenant dans l’accueil et l’accompagnement des Ukrainiens réfugiés de guerre qui arrivent en France. Nous avons besoin de logements, de relais pour faciliter leur adaptation, leur apprendre lefrançais afin que tous ceux qui veulent travailler puissent travailler. Ils sont nombreux à vouloir rester
actifs, peu importe l’activité. Nous avons besoin de relais pour pouvoir accompagner les nouveaux
arrivants. Les divertissements culturels, en dehors de toutes aides humanitaires que nous faisons
déjà, permettront une meilleure intégration, ou au moins, leur faire penser à autre chose.

Merci Yuliya, nous ne manquerons pas de lancer un appel. Pour terminer, comment va ta famille ?

Mon père vient d’arriver à Brest. J’accueille chez moi, également, une amie avec sa fille de 15 ans et
un garçon de ses amis à elle. Le déracinement n’est pas simple à gérer : leur corps est ici, mais leur
esprit et toutes leurs pensées sont en Ukraine, avec les leurs qui sont encore là bas, et avec les
actualités en direct. Je crois que, malheureusement, il faudra un long moment avant qu’ils puissent
retourner vivre en Ukraine avec tout le pays qui est  à reconstruire.
Pour terminer, je tiens encore à remercier les Français, je vous suis très reconnaissante pour la
compréhension de notre détresse, pour le soutient et la réactivité. Merci de tout cœur !