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Indemnités de rupture : une prise en compte possible des primes d’intéressement et de participation ?

Publié le 10/01/2024

Les primes d’intéressement et de participation ne constituant pas des éléments de salaire, elles sont en principe exclues du calcul des indemnités légales versées en cas de rupture du contrat de travail. Une convention collective peut-elle pour autant prévoir de les inclure dans le calcul d’une indemnité de rupture, notamment dans le cadre d’une rupture d’un commun accord ? C’est à cette question que la Cour de cassation est venue répondre. Cass.soc.29.11.23, n°22-18555.

Les faits

Douze salariés de la société Air Liquide France ont signé une rupture d’un commun accord de leur contrat de travail pour motif économique. Au titre de celle-ci, ils ont perçu une indemnité d’accompagnement. En désaccord avec les sommes versées, ces salariés saisissent le conseil de prud’homme.

Pourquoi ? Parce que pour calculer cette indemnité, l’employeur n’a pas pris en compte les primes d’intéressement et de participation qu’ils ont perçues en 2013. Les salariés demandent donc à ce que ces primes soient prises en considération dans l’assiette de calcul de l’indemnité d’accompagnement.

Que prévoit la loi ?

Pour compenser le préjudice subi par le salarié en cas de rupture de son contrat de travail (licenciement), la loi lui octroie, sous certaines conditions, le versement d’une indemnité. On parle d’indemnité légale de licenciement (1).
Cette indemnité étant calculée sur la base de la rémunération brute versée au salarié, on doit, pour la calculer, tenir compte de tous les éléments qui ont la nature de salaire. Il s’agit par exemple des commissions(2), des indemnités de congés payés(3) ou encore des primes et gratifications obligatoires, qu’elles soient à caractère aléatoire ou temporaire, qui ont pu être perçues au cours de la période de référence.
A l'inverse, d’autres éléments, parce qu’ils ne sont pas considérés comme des éléments de salaire, doivent être exclus de ce calcul. Il s’agit par exemple des remboursements de frais professionnels ou encore des sommes versées au salarié au titre de la participation ou de l’intéressement(4).

Mais en réalité, cette indemnité légale est une indemnité minimale, car une convention ou un accord collectif (voire le contrat de travail) peut tout à fait prévoir une indemnité de licenciement d’un montant plus élevé ou des modalités de calcul plus favorables au salarié. De tels textes peuvent par exemple prévoir une assiette de calcul plus large que l’assiette de calcul légale.

Dans notre affaire, la question porte précisément sur l’application de dispositions conventionnelles. Les salariés se fondent en effet sur l’article 9.3.1 du plan de mobilité et de départ volontaire qui précise que le salaire brut mensuel de référence servant d’assiette de calcul de l’indemnité d’accompagnement est déterminé conformément à l’article 14 de l’annexe de l’avenant relatif aux ingénieurs et cadres de la convention collective des industries chimiques applicable en l’espèce(5).

Or selon cet article 14, l’indemnité conventionnelle de licenciement est calculée sur la base de la rémunération totale mensuelle prenant notamment en compte les primes de toute nature, y compris les participations au chiffre d’affaires ou aux résultats, à l’exception des gratifications exceptionnelles.

Pour les salariés, ces dispositions conventionnelles ne font aucun doute : leurs primes d’intéressement et de participation doivent être prises en compte pour calculer leurs indemnités de rupture. Et les juges du fond vont leur donner raison.

Pour l’employeur, en revanche, il n’en est pas question. Notamment :

  • parce que les sommes versées au titre de la participation et de l’intéressement ne constituent pas des salaires, et qu’elles n’ont donc pas à être prises en compte dans le calcul des indemnités légales de rupture du contrat.
  • et parce que s’il est possible, par accord collectif d’assimiler ces primes à du salaire, encore faut-il que cet accord le prévoie expressément. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce. D’autant plus qu’à l’époque de la création de cet article, l’intéressement et la participation n’existaient pas encore.

Bref, pour l’employeur, les primes d’intéressement et de participation doivent être écartées du calcul de l’indemnité de rupture… Il se pourvoit en cassation.

La question étant donc de savoir si les dispositions conventionnelles permettaient, en l’espèce, d’inclure dans l’assiette de calcul de l’indemnité de rupture d’un commun accord, les primes d’intéressement et de participation.

Les primes d’intéressement et de participation peuvent être incluses dans le calcul des indemnités de rupture

La Cour de cassation commence par rappeler les dispositions de la convention collective selon laquelle l’indemnité conventionnelle de licenciement est calculée sur la base de la rémunération totale mensuelle prenant notamment en compte les primes de toute nature y compris les participations au chiffre d’affaires ou aux résultats, à l’exception des gratifications exceptionnelles. Elle rappelle ensuite que le plan de mobilité renvoie précisément les modalités de calcul de l’indemnité d’accompagnement aux modalités de calcul de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Puis, tout comme les juges du fond, la Cour de cassation en déduit que les primes perçues au titre de l’intéressement, de l’abondement et de la participation constituent non seulement des primes de toute nature mais aussi des participations au chiffre d’affaires ou aux résultats de la société, et qu’elles ne sont pas des gratifications exceptionnelles. Elles doivent donc être prises en compte dans la détermination du salaire de référence de l’indemnité d’accompagnement.

Cette solution très favorable aux salariés n’est pas nouvelle. La jurisprudence admet de longue date qu’une convention collective ou un contrat de travail puisse prévoir une assiette de calcul plus large que l’assiette légale en y incluant par exemple la participation(6). Tout dépend donc des termes de la convention collective. Les tribunaux ont déjà reconnu que la mention conventionnelle visant les « participations au chiffre d’affaires et au résultat » permettait d’intégrer dans l’assiette de calcul de l’indemnité de licenciement tant l’intéressement que la participation(7).

 

(1) Art. L.1234-9 C.trav.

(2) Cass.soc.13.03.90, n°87-41500.

(3) Art. D.3141-7 C.trav.

(4) Cass.soc.08.07.81, n°79-40929 ; Cass.soc.12.07.07, n°06-41777 ; Cass.soc.07.09.17, n°16-12473.

(5) Avenant n°3 du 16 juin 1955 relatif aux ingénieurs et cadres, modifié par l’accord du 3 mars 1970, art. 14-3. La base de calcul de l'indemnité de congédiement est la rémunération totale mensuelle gagnée par le cadre pendant le mois précédant le préavis de congédiement ; elle ne saurait être inférieure à la moyenne des rémunérations mensuelles des 12 mois précédant le préavis de congédiement. Pour le calcul de cette rémunération entrent en ligne de compte, outre les appointements de base, les majorations relatives à la durée du travail, les avantages en nature, les primes de toute nature, y compris les primes à la productivité, les participations au chiffre d'affaires ou aux résultats, les indemnités n'ayant pas le caractère d'un remboursement de frais, les gratifications diverses ayant le caractère contractuel ou le fait d'un complément de rémunération annuelle, à l'exclusion des gratifications exceptionnelles, notamment celles résultant de l'application de l'article 17 ».

(6) Cass.soc.30.06.98, n°96-42777.

(7) Cass.soc.09.11.11, n°09-72511 pour l’intéressement et Cass.soc.17.10.12, n°11-1884 pour la participation. Voir aussi Cass.soc.11.03.15, n°14-13036.

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