(1/5) : 1962 - L’implantation du Joint Français, le « Citroën briochin »

Publié le 02/09/2022

En fin d’année 1961, la société Le Joint Français (entreprise de production de joints en caoutchouc), dépose une demande d’implantation auprès de la mairie de Saint-Brieuc. Elle est attirée par l’action des collectivités, (création d’une zone industrielle), et de l’existence d’un « réservoir » de main d’œuvre. Elle promet la création de 1500 emplois en 10 ans, dont au moins 50 % de femmes.

Pour René Pléven, député des Côtes-du-Nord (circonscription de Dinan), président du Conseil Général, ministre et président du conseil (chef du gouvernement sous la IVe République) à plusieurs reprises, et aussi président du CELIB (Comité d’Études et de Liaison des Intérêts Bretons), le Joint Français, c’est « l’usine du renouveau breton ».

Image1  

Combattre le « retard breton », l’action du CELIB et des acteurs sociaux

Le CELIB a été créé en 1950 sur la base du constat d’un « retard breton », en particulier industriel, provoquant un exode massif des jeunes adultes vers les régions industrielles et la Région parisienne. Regroupant les élus politiques de toutes sensibilités (à l’exception des communistes), les représentants des organismes consulaires puis des organisations syndicales, le CELIB pratiqua un lobbying actif auprès de l’état, aidé en cela par un contexte politique d’affirmation de la planification, de l’aménagement du territoire et de construction européenne. …

Pour permettre la réalisation d’actions concrètes, les élus réunis au sein du CELIB créèrent des outils qui vont notamment porter la création de zones industrielles dans les principales villes bretonnes dont celle de Saint-Brieuc.

Le CELIB et la région Bretagne

Les organisations syndicales CFDT, CGT et FEN de Bretagne mènent à partir de 1964 des actions communes pour obtenir des solutions aux questions d’industrialisation et d’emploi, ainsi qu’au problème des bas salaires. Sous le slogan « L’Ouest veut vivre » ou « la Bretagne veut vivre », des journées d’action sont organisées en avril 1965, octobre 1966, mai 1968 et octobre 1970.

Ces actions dans le monde ouvrier trouvent également un écho dans le monde rural frappé par l’exode.

 

Image2 La municipalité s’engage

La mairie de Saint-Brieuc, qui veut le succès de sa zone industrielle, propose de céder au Joint Français 14 ha de terrain au prix de 0,01 F le m2, alors que le prix était fixé à 12,50 F (et même 40 F en bordure de la RN 12). Elle s’engage également à aider l’entreprise à hauteur de 700 F par emploi créé, ainsi qu’une exonération de patente pendant 5 ans.

Cette proposition est validée par le conseil municipal en décembre 1961, mais Roger HUON, élu de l’Action travailliste et militant CFTC, pointe un des problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs bretons : « Nous souhaitons que le Joint Français pratique une autre politique de salaires que celle qui est actuellement pratiquée dans nos régions de l’Ouest » et termine par un avertissement prémonitoire « Il s’agit d’attirer des entreprises qui paient bien, et celles-là seulement, parce qu’en définitive celles-là seules sont rentables et profitables à tous ».

1962 la gauche l’emporte à Saint-Brieuc

Entre la création de la ZI en 1961 et l’arrivée de l’usine du Joint-Français le contexte politique local est bouleversé. L’élection de son Maire, Me Poupard (divers droite et centre), aux élections municipales de mars 1959 est contestée par l’opposition « PSA (qui deviendra la PSU) -PC-Action Travailliste » en raison d’un mandement que l’évêque de Saint-Brieuc avait fait lire dans toutes les églises le matin du vote. Celui-ci déclarait qu'un chrétien " ne peut se faire l'allié ou le complice du parti communiste " et qu'il ne peut " sans trahir sa foi lui donner l'appui de son nom ou de sa voix". En juillet 1962, le Conseil d’État annulait l’élection. Aux élections d’août 1962, la liste de gauche l’emportait et Antoine MAZIER était élu maire (décédé le 6 décembre 1964). En 1965 puis 1971, une liste PSU-PC-SFIO conduite par Yves LE FOLL l’emportait

 

La mise en œuvre du projet

Elle se fit de manière rapide : la première pierre fut posée le 28 mai 1962, un atelier de formation de 50 ouvrières fut ouvert le 1er septembre, au 1er janvier 1963, 104 personnes y travaillent. L’effectif va croître progressivement : 211 en 1963, 317 en 1965, 617 en 1968, 1031 à son apogée en 1970, puis décroître pour atteindre 900 en avril 1971. C’est alors la deuxième entreprise briochine après Chaffoteaux-et-Maury.

Ces emplois sont pour l’essentiel des emplois sans qualification professionnelle. Très majoritairement, le personnel est rémunéré sur les heures de travail effectives chaque mois, la mensualisation ne concerne que l’encadrement. Les emplois féminins représentent 64 % des emplois de production, mais seulement 20 % des emplois d’encadrement. Plus de la moitié du personnel de production a moins de 30 ans. Les salarié.e.s de production ont un niveau d’éducation qui, pour 2/3 des hommes et 9/10 des femmes, ne dépasse pas le Certificat d’Études Primaires (avec ou sans diplôme).

L’entreprise connaît de grandes difficultés pour garder son personnel. Cela tient aux conditions de travail difficiles pour des rémunérations basses et à la difficile adaptation aux contraintes du travail posté pour des jeunes venant du milieu rural. Au cours de la décennie, elle a employé 3300 personnes, ce qui témoigne d’une forte instabilité du personnel, et en 1971 plus de 35 % des salarié.e.s quittent leur emploi avant 6 mois (c’était 64,5 % en 1968).  (Toutes les données proviennent d’une étude menée en 1971 par Roger Toinard pour sa licence de géographie)

Et en 1972, le CELIB n’est plus ce qu’il était. Les élus des partis de gauche prennent leurs distances considérant que le CELIB était devenu trop inféodé au pouvoir. Début 1972, l’Union régionale CFDT décide de ne plus participer aux travaux du CELIB.

 

Dessins de GWN Régereau (planches extraites d'un projet en cours).

Lire aussi : (2/5) 1972 - L'équilibre politique, économique et religieux en Bretagne