(5/5) 1972 - Une forte conflictualité régionale

Publié le 02/09/2022

Le conflit du Joint Français du printemps 1972, aussi symbolique qu’il soit, n’est pas le seul mouvement social qu’ait connu le département, ni la région. Au contraire, il va en inspirer d'autres. L’année 1972 peut être considérée comme l’apogée de ces mouvements de lutte qui se poursuivront jusqu’en 1976-77, mais dans un contexte de plus en plus difficile.

Un conflit servant d’exemple

Au printemps 1972 à Saint-Brieuc, 2 autres conflits touchent des entreprises de nature très différente, les établissements BOLLOCH (cuirs et papiers alimentaires), entreprise moins de 50 salariés et l’hypermarché Mammouth de Saint-Brieuc.

Ailleurs en Bretagne d’autres conflits ont lieu :
Salaisons ONNO à Pontivy (Morbihan), en grève pour une augmentation de 40 cts. Aux Salaisons JAOUEN de Combrit (Finistère) grève du 24 avril au 6 mai pour 50 cts, les conditions de travail et le droit syndical.
Nouvelles Galeries à Brest (300 employés), grève du 10 au 20 avril pour un salaire minimum à 800 F, les conditions de travail et la création d’un CHS.
SPLI (textile) à Fougères et St Brice-en-Cogles (Ille-et-Vilaine), des négociations en mars-avril ponctuées de 26 h de débrayages, obtention de 55 cts et un salaire minimum à 840 F.
groupe laitier PREVAL, du 3 au 5 mai, les 2000 salariés étaient appelés à l’occupation des 10 usines de l’Ouest du groupe. Le mouvement s’arrête après un accord sur les salaires et l’ancienneté.

A ces mouvements concernant le monde ouvrier, il faut ajouter ce que les médias ont appelé « grève du lait » ou « guerre du lait », qui débute dans les premiers jours de mai, et connaît son apogée entre le 23 mai et le 4 juin 1972. Il s’agit pour les paysans bretons notamment d’obtenir une juste rémunération de leur travail, Ce mouvement ne se reconnaît pas dans la prétendue unité du monde agricole.

 

Enfin, le département des Côtes-du-Nord (Côtes-d’Armor) sera le témoin de deux autres conflits de longue durée à l’automne 1972, également conduits par la CFDT et reproduisant dès le début les modalités de solidarité mises en œuvre dans le conflit du Joint Français :

BIG DUTCHMAN, filiale d’un groupe hollandais de matériel agricole, emploie 72 salariés.

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Archives, Journal Le Télégramme

La CFDT s’y implante en juin 1972. Aux revendications : + 0,75 F/ heure, classifications, prime d’ancienneté, de fin d’année et frais de déplacement, la direction répond avec +0,20 F. La grève illimitée débute le 11 septembre 1972. Une proposition à 0,30 F au 1er octobre est rejetée. Après une période de menaces, des annonces de licenciements, les grévistes occupent l’entreprise.

Reprises le 28 octobre, les négociations aboutiront le 3 novembre.

Les grévistes obtiennent : 30 cts au 1er octobre (en plus des 20 cts prévus en juin), une augmentation de 5% au 1er janvier (à valoir sur la Convention collective), une prime d’ancienneté au bout de 5 dans l’entreprise, un treizième mois acquis à 70% en 1972 pour atteindre 100% en 1974.                                                                         

KAOLINS DE PLEMET, filiale de la SGPR (Société Générale des Produits réfractaires) dont le siège social est à Paris, emploie 120 salariés.

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Le lundi 25 septembre 1972, les salariés se mettent en grève sur deux revendications principales : +0,80  F/ heure et un 13eme mois pour tous. La Direction accorde une augmentation horaire de 0,20 F (celle pré vue pour le SMIC au 1er octobre !). Durant un mois, la direction refusera toute vraie négociation, aussi les manifestations, meetings et l’appel aux de comités de soutien se développent…

Le 23 octobre les nouvelles propositions de la direction sont rejetées. L’attente et les actions reprennent jusqu’à la réunion de conciliation à la Direction Régionale du travail du 21 novembre, soit après 59 jours de grève. Le protocole d’accord entérine : Une augmentation de 80cts en deux étapes, ; Une prime de fin d’année portée de 25 % à 40 % du salaire fin 1972, puis 80 % fin 1973 et 100 % fin 1974. Une heure d’information syndicale par trimestre. L’accord sera conclu le 23 novembre, après introduction d’une négociation sur les conditions de travail.

L’année 1972 peut être considérée comme l’apogée de ces mouvements de lutte qui se poursuivront jusqu’en 1976-77, mais dans un contexte de plus en plus difficile, comme peuvent témoigner aussi bien le conflit à l’usine Doux de Pédernec (4 décembre 1973-29 avril 1974) que la grève des Réos à Fougères (février 1976-juillet 1980), lutte défensive contre la liquidation de l’entreprise, mais aussi le conflit LIP à Besançon (Doubs) de juin 1973 à janvier 1974, consécutif au dépôt de bilan de l’entreprise.      

 

Une CFDT, lucide, constructive et  « ancrée » dans les territoires

La CFDT Bretagne luttera de manière constante contre les disparités territoriales et s’affichera décentralisatrice (dès le congrès Confédéral de 1970, le rôle des URI est affirmé). De cette démarche naîtront les revendications de développement de l’emploi sur tout le territoire.

Aux slogans des années 60 « l’ouest veut vivre », « la Bretagne veut vivre », va se substituer le slogan « Vivre et travailler au pays » qui combine la demande de création d’emplois, à celle d’emplois décents.

Le rôle de l’UD de Saint Brieuc et la volonté de régionaliser ce conflit (contre l’avis de la CGT et de FO, une constante) conforte l’idée qu’il faut développer des implantations de proximité dans les bassins d’emploi, et coordonner ces structures locales dans une structure départementale ou régionale. Cette réflexion qui s’applique à l’organisation de la CFDT explique aussi l’implication forte de la CFDT Bretagne dans les instances territoriales (des conseils de développement au CESER).

Une autre évolution, qui est restée une constante, est l’indépendance syndicale de la CFDT et le non cumul mandat politique et syndical permettant à l’organisation de devenir la première organisation syndicale.

En définitive se sont construites des constantes basées sur des échanges et des actions communes entre la CFDT et la société civile (autre leçon du Joint Français) que l’on retrouve aujourd’hui au travers du Pacte du ¨Pouvoir de Vivre, d’une analyse permanente (en s’associant à des groupes de réflexion : Fondation Jean Jaurès, terra Nova), d’une présence forte dans les entreprises base du syndicalisme d’adhérents ou encore d’une intégration dans les territoires confortée par une volonté affirmée de faire vivre la démocratie  et réaffirmée au dernier congrès confédéral de Lyon.

 

Dossier réalisé par Louis Baron, Robert Lucas, Jean-Yves Quéré et Michel Régereau