Le ras le bol de la grande distribution : des prix bas toute l’année… au détriment des salariés !

Publié le 10/01/2023

Depuis septembre 2022, les équipes CFDT ont mené de nombreux mouvements de grève dans les grandes surfaces bretonnes. Les salariés dénoncent la faiblesse de leur salaire face à l’inflation, et leur fatigue physique et morale face à des conditions de travail qui se sont fortement dégradées. Carrefour, Monoprix, Leclerc, Intermarché… Comment les grandes enseignes dégagent des marges sur le coût du travail ?

Sur fond d’inflation et de hausse du coût de l’énergie, le secteur de la grande distribution se livre à une concurrence féroce. Les grands gagnants sont les enseignes qui bénéficient de la meilleure « image-prix » en proposant les produits les moins chers pour les consommateurs. Dans les pages du Télégramme, on pouvait lire que « faire ses courses en Bretagne revient un peu moins cher que dans d’autres régions » en raison des enseignes qui mènent une politique commerciale agressive. Ce sont les groupes Carrefour, Leclerc, Intermarché ou encore magasins U qui grappillent des parts de marché ces derniers mois.

Mais derrière la politique des premiers prix, ce sont les salariés de ces géants du secteur qui paient la note. Dans les grandes surfaces bretonnes, les grèves se sont multipliées ces derniers mois pour dénoncer la faiblesse des salaires et des conditions de travail inacceptables dues au manque d’effectifs. Les militants de la CFDT des services se sont mobilisés pour faire entendre la voix de ces travailleurs essentiels.

 

Des marges au détriment des effectifs et des salaires

Lors des grèves de ces différents magasins, on distingue de nombreux points communs entre les salariés. Le premier concerne le niveau des salaires, alors que l’inflation devrait atteindre 7% début 2023 selon l’Insee. « Nos salaires sont aux ras des pâquerettes », témoigne une gréviste du Monoprix de Brest. Les montants flirtent avec le Smic, quel que soit l’âge ou l’ancienneté. « Avec un 35h et plusieurs dizaines d’années d’ancienneté, je gagne 1400€ par mois. » Pour cette enseigne du groupe Casino, la CFDT a obtenu un accord suite à la mobilisation pour revaloriser les minima de la grille de salaires. 8000 salariés ont pu en bénéficier.

Mouvement inédit au niveau national, les 133 000 salariés de Leclerc étaient appelés à la grève les 2 et 3 décembre 2022, pour réclamer une augmentation à hauteur de 10%. Dans une enquête réalisée par le syndicat des Services du Finistère auprès des salariés des 22 magasins Leclerc du département, « 76% des répondants considèrent qu’ils ne sont pas payés à leur juste valeur ». Même chose chez Carrefour en septembre, où les propositions de revalorisation de 2,5% des salaires étaient jugées insuffisantes par les salariés. « L’inflation est leur meilleure publicité », précise Virginie Jouan, secrétaire générale du syndicat Services 29, « mais ils ne se préoccupent pas de ses effets sur leurs salariés ».

Avec la politique salariale, la gestion des effectifs est la principale variable d’ajustement pour dégager des marges. Un même constat lors des différents mouvements de grève : les démissions et départs en retraite ne sont plus remplacés. Selon Patricia Virfolet, déléguée syndicale centrale CFDT à Monoprix, « la direction réduit les effectifs depuis plusieurs mois. En deux ans, on a perdu plus de 3000 personnes, soit environ 6 personnes par magasin ». Un chiffre qui correspond à la réalité du territoire : en une année, le Monoprix de Brest a perdu 5 employés selon Jocelyne Coz, déléguée syndicale CFDT du magasin. Le groupe Carrefour a quant à lui perdu environ 30 000 salariés en quatre ans, dont 34 CDI à Langueux d’après la section locale.

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                 Grève des salariés Intermarché de Pleyben et Landerneau, novembre 2022

 

Épuisement physique et moral !

Cette réduction des effectifs entraine une surcharge de travail importante pour les salariés restants. L’enquête auprès des salariés Leclerc du Finistère est édifiante. 77 % déclarent que la charge de travail a augmenté depuis leur entrée dans l’entreprise, et 64 % travaillent plus d’heures que prévues. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que 66 % s’estiment épuisés physiquement et 60 % épuisés moralement. « Avec les résultats de l’enquête, nous avons interpellé la direction de Leclerc et son PDG Michel-Edouard Leclerc, mais nous sommes restés sans réponses », indique Virginie Jouan. La secrétaire générale du syndicat revendique une amélioration des effectifs et une Charte sociale commune dans l’ensemble des magasins.

Les salariés font face à des cadences accélérées et à une exigence de polycompétences. Ils doivent passer de la boucherie à l’accueil, des caisses au rayonnage, avec des horaires qui sont souvent dépassés. « On n’a plus le temps de lever la tête, on a l’impression de faire moins bien notre travail » décrit un adhérent devant le Carrefour de Langueux. À l’Intermarché de Pleyben, la CFDT a dénoncé des méthodes managériales scandaleuses qui font peser un risque important sur la santé des travailleurs. « Une plainte pour agression est même en cours, sur le plan pénal » affirme Virginie. Du côté de Landerneau, les élus CFDT de l’Intermarché alertaient en octobre sur le grand nombre d’arrêts maladie provoqués par la dégradation des conditions de travail. 

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                                               Les salariés de Monoprix Brest en grève, octobre 2022

 

Location-gérance, décentralisation… des dispositifs pour réduire le coût du travail !

La nouvelle est tombée le 19 octobre dernier. Le groupe Carrefour prévoit de passer 41 magasins en location-gérance en 2023. Parmi les pressentis, on retrouve l’hyper de Langueux qui compte 230 salariés et le carrefour market de Rennes 3 Soleils. En conséquence, les 4000 salariés concernés perdent les avantages de la convention collective au bout de 15 mois après le rachat. « Ensuite on revient à l’accord de branche. Tout ce qui concerne la mutuelle, les jours de repos, la prime d’intéressement, ou encore les droits liés à l’ancienneté, devra être renégocié » explique le syndicat des Services des Côtes d’Armor.

Depuis la mise en place du plan « Carrefour 2022 » en 2018 par Alexandre Bompard, le groupe est sur le point d’atteindre 268 magasins, soit plus de 20 000 salariés, en location-gérance. En mars 2022, l’hyper de Rennes Alma était le premier site breton à en faire les frais. Pour l’enseigne, la location-gérance permet de franchiser un magasin déficitaire auprès d’un repreneur, dans l’objectif de le redynamiser et de « maintenir l’emploi ». « Un élément de langage fallacieux », analyse Erwanig Leroux, coordinateur des sections Carrefour. « Aujourd’hui, on voit des magasins bénéficiaires à hauteur d’1,5 millions d’euros par an passer en location-gérance. Il n’y a pas de critères précis, aucun magasin n’est à l’abri ». La CFDT dénonce un dispositif destiné à réduire le coût du travail en externalisant les salariés.

Le mécanisme est similaire au sein du groupe Leclerc. Ce dernier se décrit comme un mouvement coopératif constitué de 721 magasins où chaque « adhérent » (comprendre : directeur du magasin) décide de sa propre politique de rémunération, de recrutement, formation ou investissement. Au risque de produire des situations aberrantes : « On a une convention collective avec six échelons sous le Smic. Ce serait bien que l’on ait une grille de salaires cohérente commune au mouvement Leclerc » revendique Jean-Michel Nicolas, délégué syndical du Leclerc de Concarneau.

« On ne lâchera pas le morceau ! » s’exclame Virginie Jouan, qui espère « réussir à faire bouger les lignes en multipliant les actions ». La CFDT appelle aussi les consommateurs à l’action. « Nous sommes toutes et tous clients de ces enseignes. Nous devons veiller collectivement à bien traiter les salariés des magasins d’alimentation. »

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Grève des salariés de Carrefour Langueux, septembre 2022