Souffrance au travail : les salariés des organismes de Protection Sociale sont aux bords du burn out

Publié le 28/10/2022

Cet été, le syndicat Protection Sociale Bretagne a diffusé une enquête intitulée « Protection sociale : les risques psychosociaux, on en parle ? » dans tous les organismes de sécurité sociale CAF, CARSAT, CPAM, URSSAF, ARS et DRSM de la région. Près de 800 salariés ont répondu à cette enquête. Les résultats sont accablants. Ils démontrent une véritable souffrance au travail, ainsi qu’une perte de sens et d’attractivité pour leurs différents métiers.

Examiné à l’Assemblée nationale depuis le 20 octobre, le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) fait l’objet d’âpres manœuvres politiques entre la majorité et les partis d’opposition. Pour le syndicat Protection Sociale Bretagne, ces manœuvres éclipsent une évidence : la mise en œuvre de la politique de Sécurité Sociale du gouvernement repose sur les salariés qui travaillent dans ces organismes. Or, ces salariés sont en grande détresse !  

« Les organismes de Protection Sociales sont à l’os ! », déclarait Laurent Berger au congrès confédéral de Lyon. La CFDT alerte depuis plusieurs mois sur la multiplication des arrêts maladie, abandons de poste et démissions. « Dès le mois de mars 2022, nous avons décidé de réaliser une enquête sur les conditions de travail des salariés dans les organismes bretons », explique Rozenn Pépin, secrétaire générale adjointe du syndicat. Les résultats sont accablants. 

 

85% des interrogés estiment qu’ils ne sont pas correctement rémunérés pour leur travail  

« Je suis présente à la CAF depuis 10 ans et je perçois le même salaire qu’il y a 10 ans… Il n’y a pas de perspectives d’évolution professionnelle ou salariale alors que tout augmente, sauf la valeur du point », confie cette salariée. Un ressentiment partagé dans tous les organismes. Pour le syndicat Protection Sociale Bretagne, ces difficultés d’évolution trouvent leurs sources dans la segmentation des tâches qui conduit à une spécialisation des salariés ; ce qui entraine un faible accès à la promotion. 

Cette absence d’évolution entraîne des conséquences dramatiques sur l’attractivité du métier. 35 % des répondants envisagent leur avenir hors des organismes de la Sécurité Sociale. L’un d’entre eux le déclare ouvertement : « à 28 ans et après 2 ans et demi à la Caf, j'envisage fortement de quitter la structure et pour voir si l'herbe est plus verte ailleurs. À 1190€ net par mois, ça ne sera pas difficile… »

Le 4 octobre 2022, la CFDT a signé un accord salarial pour une augmentation de 3.5% de la valeur du point d’indice à partir du 1er octobre. Ellle regrette toutefois l’absence de réelle négociation avec l’Union des Caisses Nationales de Sécurité Sociale (UCANSS). « C’est un premier pas, mais nous aurions souhaité un effet rétroactif au 1er janvier 2022, ou à minima à juillet. Les salariés attendent davantage », affirme Katia Folligné, secrétaire générale du syndicat. « Dès le 13 décembre prochain, date de l'ouverture des négociations salariales 2023, nous revendiquerons une nouvelle classification et une augmentation collective à la hauteur de l’investissement des salariés. » 

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Grève du 13 décembre 2021 devant la Caf de Rennes

1 travailleur sur 2 souffre de troubles musculo-squelettiques (TMS)

Sur les 12 derniers mois, 49% des répondants déclarent avoir consulté un médecin pour des TMS, 25% pour des troubles psychologiques et 37% pour des troubles du sommeil. Parmi les témoignages des salariés, nombreux sont ceux qui évoquent leur santé : « Marre de me rendre malade pour un boulot qui n'est pas reconnu », « actuellement en mi-temps thérapeutique depuis plus d'un an, après un an d'arrêt total », ou encore « nous n’avons pas de matériel adapté, ce qui occasionne des douleurs articulaires ».  

En cause, 61% des répondants estiment effectuer un travail répétitif. Les TMS ne sont pas seulement la manifestation d’un effort physique. Les symptômes du canal carpien, du coude, les capsulites, etc, sont directement liés au travail répétitif. Dans ces organismes, ils peuvent se traduire par une activité dite de « presse boutons » … 

La CFDT revendique un équipement adapté et modulable pour chaque poste, une diversification des tâches dans la journée et des études ergonomiques sur les postes de travail. « Il n’est pas tolérable que la santé des salariés se dégrade dans l’indifférence générale », s’indigne Katia Foligné. 

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Locaux de l'URSSAF Bretagne à Rennes

¼ des salariés sont proches du burn out ! 

Les organismes de Sécurité Sociale souffrent d’une véritable perte de sens au travail. 53,5% des répondants estiment que les consignes et les objectifs imposés par la hiérarchie sont en décalage avec la conception du métier qu’ils ont. Finalement, plus d’un répondant sur trois déclare que l’exercice de son métier n’est pas en cohérence avec les valeurs de la sécurité sociale (universalité, solidarité…). 

Là encore, les témoignages de ras le bol sont éloquents : « je pars à la retraite prochainement, avec une grande joie, car je ne me reconnais plus dans ce travail ». Beaucoup s’insurgent des objectifs chiffrés, comme cette salariée de la CARSAT Bretagne qui « regrette l’utilisation de chiffres et d'indicateurs dans un service social. Nous évoluons auprès d’assurés et non de clients, terme utilisé par des membres de la direction. » 

Pire encore, plus d’un quart ont subi des agressions verbales de la part des usagers, et 10% indiquent en avoir subi de la part de leurs collègues ou supérieurs… Dans ces conditions, il semble peu surprenant qu’un quart des répondants soient de plus en plus fatigués, stressés et ne sont pas loin de craquer. Un salarié de la CPAM nous alerte : « il y a eu plusieurs arrêts de travail dans mon service pour burn out, je vais mal, mes collègues aussi, il est urgent de faire quelque chose… »  

Pourtant, plus d’une vingtaine de témoignages signalent une direction déconnectée de la souffrance des salariés. Certains précisent « qu’il y a une absence totale de compréhension et de soutien de la part de la direction. Leur méconnaissance de notre travail fait que nous sommes au bout du rouleau. » La plupart ne peuvent compter que sur l’entente et le fort soutien avec leurs collègues (plus de 90%) et l’écoute de leur manager de proximité.  

 

Remettre l'humain au coeur du métier

Aujourd’hui, Rozenn et Katia veulent remettre l’humain au cœur des débats et de la politique de la Sécurité Sociale, pour les salariés comme pour les usagers. Elles exigent une embauche massive de CDI et la diminution du travail précaire afin de pérenniser les compétences et leurs transmissions. « Cela permettrait de renforcer l’accueil et les réponses aux usagers, de redonner un sens au travail » affirme Rozenn. Enfin, nos deux militantes souhaitent que les salariés et les organisations syndicales soient associés à la Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels (GEPP). 

 

Des services de plus en plus dégradés pour les usagers 

Les pannes, interruptions, défauts liés aux applications informatiques utilisées par le personnel génèrent des retards récurrents pouvant aller jusqu’à plusieurs mois. Ces pannes impactent le traitement des dossiers, complexifient les procédures puisqu’il faut en reprendre une partie manuellement. Le service rendu aux usagers s’en trouve fortement réduit, avec des fermetures ponctuelles d’accueil physique et téléphonique.  

De même, les organismes de sécurité sociale mettent en place des mutualisations ou « coopérations » pour faire face aux baisses d’effectifs. Des procédures lourdes impliquant de nombreux interlocuteurs, dispatchés dans différents lieux, avec chacun ses retards, accroissent les délais de réponse et par conséquent le paiement des prestations.  

Les enquêtes de satisfaction diligentées par les organismes auprès des usagers cachent la réalité de milliers de personnes fragilisées et en difficulté financière.