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Quand le management détruit des vies… la CFDT appelle à de nouvelles pratiques managériales pour redonner du sens au travail

Publié le 04/07/2023

Lorsque l’on parle de management toxique, les témoignages affluent de la part de nos responsables syndicaux. Ces derniers mois, plusieurs personnes ont été condamnées par la justice à la suite de dénonciations d’élus CFDT. Dans d’autres entreprises, des enquêtes de l’inspection du travail sont en cours. Cooperl, Bibus, Hôpital de Lanmeur… les représentants CFDT témoignent à travers quelques cas emblématiques. La CFDT soutient des modèles managériaux alternatifs qui sont possibles grâce à un dialogue social de qualité !

Lors de ces 15 dernières années, le harcèlement au travail est passé d’un sujet quasi « inexistant » à un sujet reconnu juridiquement (ANI 2010), omniprésent sur les réseaux sociaux et quotidiennement discuté dans les médias. Souvent traités comme des faits divers, isolés, notamment lorsque cela débouche sur une condamnation, les cas de managements toxiques sont un phénomène social, très largement répandus dans la société.  

Plus d’un salarié sur trois a déjà été victime de harcèlement au travail (moral et/ou sexuel) au cours de sa carrière, selon le baromètre du harcèlement au travail – Ipsos, septembre 2022. Dès le début des années 2000, la CFDT alertait sur l’urgence d’explorer les conditions de prévention des burn out en étudiant les causes de l’épuisement professionnel. Les conditions de l’encadrement et du management font parties des premières sources des risques psycho-sociaux. 

En Bretagne, les élus CFDT s’emparent du sujet à bras le corps dans tous les secteurs professionnels, par la prévention en étant force de proposition sur des modèles de management plus vertueux, par l’accompagnement des salariés en souffrance, et si nécessaire par la mise en place des procédures aboutissant à une condamnation. Plusieurs affaires récentes viennent rappeler l’importance du syndicalisme pour protéger les travailleuses et travailleurs et pour dénoncer les dérives. 

 

Condamnation pour harcèlement moral à la coopérative Cooperl 

En 2019, la CFDT accompagne deux salariés de la Cooperl, à Lamballe-Armor, dans une procédure contre leur responsable hiérarchique pour harcèlement moral. L’ex-manager, responsable du planning de 120 personnes, imposait des changements brutaux dans l’organisation du travail. C’est ainsi qu’un matin, l’une des plaignantes, conductrice de ligne, s’est retrouvée affectée au nettoyage. À cela s’ajoute des agressions verbales fréquentes. La CFDT s’est portée partie civile devant le tribunal. 

Des cas loin d’être isolés : « iI y a eu beaucoup d’autres personnes qui ont souffert, mais il faut trouver celles qui veulent bien témoigner et des preuves suffisantes. Il y avait un climat de peur », témoigne Marie-Jeanne Meunier, élue CFDT du CSE. « C’était un management paternaliste, d’un autre temps, ça a toujours été géré comme ça. »  Les délégués CFDT engagent alors un travail pour rassembler des éléments et coopérer avec les enquêtes de l’inspection du travail et la médecine du travail. Cette dernière indique dans son rapport que « le premier facteur de stress des salariés estle management trop brutal. » En effet, les changements organisationnels non concertés avec le salarié sont l’une des premières sources des risques psychosociaux sur le lieu de travail.  

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Les salariés de la Cooperl Brocéliande lors d'un conflit social en juin 2022

La section a aussi entrepris un travail de sensibilisation des salariés sur les situations de harcèlement au travail. « C’était tellement ancré dans la culture de l’entreprise que beaucoup ne s’en rendaient pas compte. On leur disait : est-ce que c’est normal que l’on vous parle comme cela ? Est-ce normal que l’on fasse pleurer cette personne ? » se rappelle Marie-Jeanne. Un constat largement répandu dans le monde du travail : 73% des salariés, y compris les managers, peinent à identifier les situations relevant du harcèlement au travail, selon le baromètre du harcèlement au travail. « À de nombreuses reprises, on a fait des signalements à la direction, qui n’a rien mis en place pour apporter des solutions », regrette l’élue CFDT. 

L’ex-manager a été condamné dans un cas, relaxé pour le second, le 11 mai 2023 par le tribunal correctionnel de Saint-Brieuc. Une peine de quatre mois de prison avec sursis et de 3500€ de dommages et intérêts a été prononcée. « Mais jamais la direction de la Cooperl, qui soutenait le manager, n’a été mise en cause. La politique de l’entreprise n’a jamais été condamnée », regrette Marie-Jeanne. Délégué syndical central de la Cooperl, Olivier Louchard confirme « Je pense qu’il y a une omerta dès que l’on touche à l’encadrement. Dès qu’une personne de l’encadrement est visée, aussitôt ils nient et font bloc. C’est assez fréquent dans la filière viande. »  

 

Un phénomène qui n’épargne pas la Fonction publique 

Quand on parle de management toxique, comment ne pas évoquer la condamnation au pénal pour harcèlement moral de la Directrice de l’hôpital de Lanmeur dans le Finistère ? Un combat initié en 2010, par le syndicat Santé-sociaux du Finistère, qui a dénoncé des « brimades à répétition, les humiliations publiques, les mises au placard de salariés qui n’atteignaient pas des objectifs irréalisables ou qui ne pouvaient mener à bien les missions confiées avec des informations partielles ».  

Malgré les multiples alertes à l’Agence Régionale de Santé (ARS) et au conseil de surveillance de l’établissement, le syndicat a été contraint de saisir la justice administrative. Ensuite, la Cour d’appel a confirmé la condamnation pour harcèlement de l’ancienne directrice le 4 mai 2023. Fait rarissime, la directrice a également été condamnée pour harcèlement moral envers le CHSCT, inaugurant une première en France ! 

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Les militants du syndicat CFDT Santé-Sociaux du Finistère, à Lanmeur

Pour Stéphane Postollec, secrétaire général du syndicat, « c’est une victoire mais il est tout de même dramatique d’en arriver là et d’avoir mis autant de temps pour faire reconnaître la souffrance des agents. Il est urgent aujourd’hui de faire évoluer les pratiques managériales pour arriver à la mise en place d’espaces d’expression sur le travail ou de processus de médiation pour éviter d’en arriver au conseil de discipline. » Chacun doit pouvoir s’exprimer sur ces conditions de travail, évoquer ses limites ou son mal être. Le dialogue professionnel doit trouver sa place.  

Un constat confirmé par Christelle Kermaidic, secrétaire adjointe du syndicat, qui évoque « les managers de proximité dans les EHPADs qui, par excès de zèle, n’appliquent pas les directives de leur hiérarchie quand celles-ci visent à améliorer les conditions de travail. » Pourtant dans ce contexte où certains secteurs peinent à recruter, les employeurs doivent bien avoir en tête que les travailleurs sont les meilleurs ambassadeurs de leur entreprise. S’ils se sentent bien et considérés, ils donneront envie à d’autres de rejoindre cette entreprise.   

 

Bibus : un système managérial maltraitant pour les conducteurs et pour les cadres 

En juillet 2019, Brest Métropole attribue le contrat de délégation de service public à RATP Dev, filiale du groupe RATP, pour la gestion du réseau Bibus qui contrôle les bus, tramways et le téléphérique de la collectivité. Une attribution qui s’intègre dans une stratégie de développement du groupe RATP, puisque ce dernier obtient aussi la gestion des réseaux de Vannes, Lorient et Saint-Malo. « C’était un espoir de jours meilleurs pour les 480 salariés de Bibus », explique Sébastien Pellenec, délégué CFDT, « ils sont arrivés avec un discours de dialogue social, sur la bienveillance, la qualité de vie au travail, alors que l’on sortait de conflits à répétition depuis 3 ans avec l’ancien gérant Keolis »

Hélas, RATP-Dev a aussi importé un modèle organisationnel et managérial issu de la RATP. « Très rapidement, il est devenu flagrant qu’ils n’avaient aucune marge de manœuvre en tant que direction, en dépit de leurs discours », raconte Luc Daniel, élu CFDT au CSE et ancien délégué de section. « Ce sont des sortes de super salariés qui sont là pour exécuter une politique pensée par la tête de RATP-Dev, sans possibilité d’adaptation. » Un modèle managérial qui s’appuie sur la méritocratie et l’individualisme, avec une volonté de segmenter l’activité pour négocier les conditions de travail par secteur. 

L’exact opposé de la politique de la section CFDT qui « travaille pour le collectif, à partir du plus petit dénominateur commun », affirme Luc Daniel. Et Sébastien Pellenec ajoute : « ce qui nous sauve c’est que le collectif brestois est très solide ! On a 400 adhérents CFDT et la totalité des sièges au CSE. » Bibus a été marqué par de nombreux conflits sociaux ces dernières années, la direction n’ayant pas pris en compte la forte culture syndicale dans l’entreprise, ni la culture managériale antécédente. 

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Les salariés de Bibus en débrayage contre la réduction des temps de parcours, novembre 2021

Mandatée par le CSE, une expertise du cabinet Syndex démontre que les projets de la RATP-dev ne sont pensés que sur des critères financiers, l’humain n’est jamais mis au cœur du projet, sans penser à ce qui peut en découler pour les risques psycho-sociaux. « C’est cette conception qui est à l’origine des suicides de nos collègues » dénonce Sébastien Pellenec. Entre 2020 et 2023, deux suicides et une tentative de suicide ont eu lieu parmi les salariés de l’entreprise. Une enquête conjointe de la Carsat et de l’inspection du travail est encore en cours. 

« Cette enquête aboutira à des préconisations que l’entreprise sera contrainte de suivre » indique Sébastien, « c’est la seule chose qui pourra les faire bouger car la direction n’a pas de marge de manœuvre sur le modèle managérial ». Et Luc Daniel d’ajouter, « il y a aussi des burn out chez les personnels cadres ! Managers de proximité, cadres intermédiaires, toute la chaîne managériale est entre le marteau et l’enclume et souffre de la situation. » Loin d’une remise en question, la direction de Bibus accuse les représentants du personnel d’être à l’origine de cette situation. Une accusation grave qui fera l’objet d’un communiqué de presse. 

« Ce qui devient pervers dans ce système, c’est que l’on ne sait plus situer la responsabilité. C’est le système en lui-même qui est dysfonctionnant et qui est maltraitant pour le management », concluent les deux élus CFDT.  

 

Considérer les travailleurs avec de nouvelles pratiques managériales, c’est pourtant possible ! 

« Quand les personnes souffrent, ce sont les organisations qu’il faut soigner ! La CFDT rejette toute posture faisant porter au salarié la seule responsabilité de se soigner, et revendique ainsi la transformation des systèmes de management et d’organisation inadaptés », rappelle Ronan Guillory, référent Cadres de la CFDT Bretagne. Le stress au travail n’est pas du seul fait du salarié et la CFDT insiste sur le rôle de l’entreprise (ou de l’employeur public) qui agit comme décideur des conditions de travail et du management. 

« Pour éviter la stigmatisation des cadres, le manager ne doit pas être le relais de la direction et le réceptacle de la colère des salariés » poursuit Ronan, « l’employeur doit donner les moyens à l’encadrement de créer des espaces de dialogue et de concertation, et non un management vertical qui sert de passe-plats. » 58% des cadres redoutent d’appliquer des décisions avec lesquelles ils ne sont pas à l’aise selon le Baromètre CFDT Cadres - Kantar (Septembre 2019). La CFDT est la première organisation syndicale chez les salariés cadres, en Bretagne et au niveau national. Elle propose des formations adaptées pour outiller les cadres face à ce type de situation.

Plan de travail 1

« Lors d’un séminaire sur l’attractivité des métiers organisé par l’ARS et le conseil départemental du Finistère, plusieurs témoignages ont démontré l’efficacité de passer d’un management vertical à un management participatif », précise Christelle Kermaidic. C’est le cas d’Amadeus, association d'aide, d'accompagnement et de soins à domicile, qui a présenté la démarche engagée sur la qualité de vie au travail. Chaque salarié a ainsi été invité à participer à des réunions sur leur temps de travail et à intégrer des groupes de travail sur les différentes thématiques. Suite à cette phase de concertation, des propositions ont émergé et ont permis d’aboutir à une nouvelle organisation de travail. L’évaluation faite a postériori a montré que 95 % des salariés étaient satisfaits par cette nouvelle organisation.  

Encore aujourd’hui, comme le rappelle Virginie Jouan, secrétaire générale du syndicat Services 29, beaucoup de directions assignent les représentants du personnel à un rôle de contestation. « Par crainte, ils freinent encore à nous donner de l’information plutôt que de nous associer. Pourtant, lorsque certains auront enfin compris que nous représentons des salariés qui ne demandent qu’à être acteurs dans la vie de leur entreprise, alors une transformation sociale importante se sera enfin produite. » 

Il est aussi utile de rappeler que nos militants sont formés pour aider les salariés en souffrance et pour les accompagner dans ce type de procédure. « Il n’y a pas assez de prévention des risques psycho-sociaux, nous sommes freinés alors que nous aimerions avoir davantage de responsabilités. On a maintenant l’expérience pour nous et on espère que cela servira d’exemple pour d’autres établissements, que la parole sera libérée », conclut Stéphane Postolec.